Par une pirouette empruntée à la danse, introduisons une demoiselle qui exerce les arts du ciné et de la chanson. Louane Emera a tout de ce «tendu, relâché» qui fait le sublime d’un ballet. Ultra-précis et contrôlé, tout en ayant l’air parfaitement fluide et décontracté. En équilibre sur un fil, cette post-ado de 18 ans se montre à la fois généreuse et secrète, mais assidue dans la spontanéité. «Il ne faut pas casser cette fraîcheur qu’elle a naturellement, souligne Eric Lartigau, le réalisateur de la Famille Bélier qui l’a désignée pour le premier rôle. A l’image, elle a ce truc qui ne se travaille pas, cette grâce qui capte la caméra. Si vous la filmez dans un groupe, vous ne verrez qu’elle.» Dans le film aux 6 millions d’entrées, Louane est Paula, unique entendante d’une famille de sourds. A 16 ans, elle joue l’interprète pour la ferme de ses parents, Karine Viard et François Damiens. Et, comme dans cette brasserie lilloise où nous la rencontrons, la bouille blonde bringuebale entre les comportements d’ado et les responsabilités d’adulte. Eric Lartigau : «Elle peut avoir une réelle conscience du présent et, juste après, sortir une phrase débile du style "j’ai trop envie de chocolat !"»
Ainsi, griffonner son portrait, c’est saisir un entre-deux éphémère et élastique, avant d’avoir à gommer, nuancer ou raturer. Ce jour-là, Louane Emera arbore un chemisier blanc évanescent assorti d’un jean slim brut et d’une paire de Doc Martens régressive, couleur charbon. Tornade dorée, elle surgit dans le café pour un entretien franchement chaotique, interrompu toutes les deux minutes par les clips à la télé, les divagations de Cath, sa manageuse, et les textos sur son iPhone. Très vite, elle plante le décor :«J’étais une enfant turbulente, je me suis fait virer de la plupart des trucs que j’ai essayés. Athlé, danse, natation, escalade, gym. En cours, je suis trop bavarde, j’ai entre 8 et 12 de moyenne quand je suis vraiment à fond.» Au lycée international Montebello de Lille, l’hyperactive a choisi, par défaut, une terminale littéraire, «nulle en maths et en éco mais adepte de l’anglais». Et sa nouvelle vie n’arrange rien à l’affaire. En double promo, elle défend sa statuette au césar pour le meilleur espoir féminin, mais aussi la sortie début mars de Chambre 12, son premier album. «Je n’ai plus du tout le temps d’aller à l’école, et je n’ai pas la conscience tranquille. C’est vraiment important le bac, mais je pense que je ne l’aurai pas.»
Pendant le tournage de la Famille Bélier, Eric Lartigau a fait venir une coach pour aider l’apprentie comédienne et chanteuse à canaliser son énergie :«Elle me demandait une attention de chaque instant, et il fallait aussi que je m’occupe des autres. Elle pouvait être éteinte pendant une prise mais hyperactive en dehors, il fallait que cela s’inverse.»
Si l’on tapote sur le léger voile de paillettes, Louane Emera s’appelle en réalité Anne Peichert, son nom de scène datant de son passage, en 2013, dans The Voice, télé-crochet musical diffusé sur TF1. Cinquième d’une fratrie de six enfants, la Ch’ti a passé la totalité de sa courte vie à Hénin-Beaumont, au milieu des «maisons de mineurs, des briques et de la jolie église». Dans cette famille recomposée, la maman a eu trois filles, le papa un garçon, chacun ayant adopté les enfants de l’autre avant de concevoir les deux derniers, Anne et Louise, d’où LouAne. «Il n’y a pas de demis chez nous, on est tous frères et sœurs ! C’était un joyeux bordel, il y avait toujours du monde, du bruit, de l’activité», insiste la désormais nomade, à la recherche d’un cocon parisien. Emploi du passé de rigueur, les parents étant morts en 2013 et 2014, à quelques mois d’intervalle. De ce drame, la jeune fille ne dira rien : «J’ai décidé de ne pas en parler. En plus de me toucher moi, ça peut affecter ma famille, et je n’ai pas du tout envie de leur faire vivre ça.»Sévère et adulte, elle s’excuse comme une enfant, avec politesse et vouvoiement. Louane croit malgré tout beaucoup en Dieu, «mais je ne pratique pas, je travaille même le dimanche !». Enfant de chœur comme tous ses frères et sœurs, elle est allée jusqu’à la communion, dans la lignée d’un papa très catho, mi-allemand mi-polonais, et d’une maman à peine moins catho, mi-portugaise mi-brésilienne. Courtiers en assurance internationale, ils se sont rencontrés au boulot : «Ma mère a voulu sortir avec mon père, et il lui a mis un vent. Le lendemain, il est revenu en disant OK !» résume la malicieuse qui n’a jamais manqué et se paye aujourd’hui les services d’une comptable.
Quid d’un maire FN à Hénin-Beaumont ? «Je suis au courant, merci ! Moi, je m’en fous, quand Steve Briois a été élu, je n’avais pas encore l’âge de voter, donc je ne me sens pas du tout coupable.» Et si les Peichert avaient le cœur à gauche, Miss Emera estime «ne pas être encore assez mature pour choisir un camp». En attendant, elle a adoré la marche républicaine pourCharlie Hebdo, accompagnée notamment d’Eric Lartigau et de sa femme, Marina Foïs, «un super souvenir pour une telle horreur».
Entre le chocolat chaud et l’arrivée des pâtes carbo, les pupilles rondes et bleues implorent une pause clope. A 18 ans, Louane fume depuis cinq ans, chante depuis dix ans. Même si elle a perdu quelques aigus, la mezzo-soprano apprécie les effets de sa quinzaine de cigarettes journalières, renforçant le voile déjà présent sur ses cordes vocales. La voix un brin éraillé, elle admire Louis Bertignac, son coach à The Voice, la fameuse émission qui l’a propulsée sur le devant de la scène, de la une de Paris Match jusqu’aux césars. De cette expérience de la télé-réalité, elle répète que c’était «génial, incroyable, dingue et hyperformateur». Mais elle reste fidèle à sa nounou, celle qui l’a inscrite à son premier concours de chant lorsqu’elle avait 8 ans.«Depuis ce jour, je chante, et je ne veux plus jamais m’arrêter.» On pourrait goûter à la caricature de la lolita pop façon barbe à papa. Dans son albumChambre 12, Louane ébruite d’ailleurs des histoires d’amour carrément sucrées, écrites entre autres par Patxi Garat, ancien résident de la Star Academy. On flaire pourtant une certaine fragilité chez cette insomniaque célibataire qui ne somnole que trois à quatre heures par nuit, et redoute de grandir.
Fanatique d’Arthur Rimbaud, elle se prend de colère contre son poète : «Il écrivait des choses incroyables, et d’un seul coup il a tout arrêté. C’est égoïste, je lui en veux !» D’un tout autre registre, sur sa table de chevet, Anna Todd et sa fan fiction After aux millions de lectrices teenagers, écrite entièrement sur smartphone et inspirée de la vie d’un boys band. Sans surprise, dans sa filmographie, l’intégralité des Walt Disney, avec le Roi Lionet la Petite Sirène en tête de gondole. A cela près qu’elle s’empresse d’ajouter Cédric Klapisch et Jacques Audiard, avec lesquels elle serait ravie de tourner, un jour, à l’âge de la maturité.
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